mercredi 23 avril 2014

Boston Strong ou Courir avec son coeur


21 avril 2014, jour du marathon

5h du matin: Mon réveil est mis pour 6h15 mais je ne m'endors plus et je me sens reposé. J'en profite pour me préparer mentalement. On est arrivé vendredi matin à Boston et avec l'ambiance festive qui règne ici, on peut presque oublier qu'on court un marathon lundi tellement. Oui, il y a beaucoup d'émotion dans l'air en raison des attentats de l'an dernier, mais tout le monde est également festif et souhaite tourner la page. La présence policière est également forte mais les contrôles se font rapidement et sont plus aléatoires qu'annoncés.





Depuis notre arrivée ici, malgré une extinction de voix et une toux qui ne me lâche pas, nous sommes allés écouter les Canadiens battre Tamba Bay dans un resto-bar (avec les rares écrans qui ne diffusaient pas le match des ennemis jurés, les Bruins), nous sommes allés marcher à Harvard, passé plusieurs heures à l'expo-marathon, été au souper de pâtes officiel et voir un match des Red Sox (marathon oblige le lendemain, nous avons quitté en 6e manche vers 21h alors qu'ils perdaient 5-0...ils ont finalement gagné 6-5!)




















Encore dans mon lit à l'hôtel, je focus sur mon marathon à venir et me rappelle alors mes 3 mantras et plan de match:

-Courir relax les premiers 25km
-Vive les côtes entre le 25e et 34e km
-M'accrocher pour les 8 derniers km

Ma blonde m'a également rappelé que je devais avoir un mantra si jamais ça allait mal. J'y vais avec celui-ci:

-Un mur, ça se grimpe!

Dans tous les cas, j'adore les marathons pour toute la gestion physique et mentale qu'ils demandent. C'est mon 10e marathon mais il y a toujours des moments plus difficiles imprévus et c'est un beau défi de relever ces difficultés. C'est souvent tentant également de marcher ou de prendre une pause mais je me suis toujours juré de ne jamais marcher dans un marathon, sauf à des stations d'aide au besoin le temps de me ravitailler.

Mon objectif est d'avoir du fun. Question temps, je pensais au départ compléter le marathon en 3h20 car j'avais réalisé que les gens courent généralement 10-15 minutes plus lentement ce marathon que leurs autres marathons, étant donné qu'il est très difficile et tôt dans l'année. Mais récemment, j'ai réalisé que je devrais pouvoir le compléter entre 3h10 et 3h15, 3h09 dans le meilleur des scénarios. Je ne souhaite pas me mettre de pression mais je devais en même temps fournir à mes supporteurs mes temps de passage prévus pour qu'ils puissent me suivre. J'espère seulement que mon état de santé sera correct et je m'encourage en pensant que j'ai bien dormi les dernières nuits et fait le plein de glucides.

JP, Francis, Julie et bébé-cachette, qui fête ses 30 semaines dans le ventre de Julie aujourd'hui, m'attendront près du 25ekm, juste avant les fameuses côtes de Boston.

Vers 6h30, je termine mes préparatifs, sans oublier mon tatoo Boston Strong sur l'épaule droite et mon bracelet noir fait des affiches de l'an dernier. Nous avons reçu à l'expo-marathon ces 2 items pour se rappeler les attentats de l'an dernier. 




J'embrasse Julie et je quitte finalement mon hôtel avec mon déjeuner dans un sac en direction des autobus qui nous transporteront à la ligne de départ, à 42,2km de Boston. Je suis calme et confiant. Je discute avec les bénévoles super sympathiques en attendant les autobus...ils sont 10 000 bénévoles à travailler pour le marathon de Boston et la logistique est toujours aussi impressionnante...600 autobus scolaires sont mobilisés pour transporter les coureurs à la ligne de départ.

Une fois au départ du marathon, nous attendons d'être appelé en fonction de nos numéros de dossards sur la ligne de départ. Je fais partie de la première des 4 vagues, coral 7 sur 9, numéro 6317, ce qui indique que j'ai réalisé le 6 317e meilleur temps de qualification parmi les 36 000 coureurs. À ma connaissance, seul le marathon de Boston permet de connaître la vitesse d'un coureur en fonction de son numéro de dossard.

On marche vers la ligne de départ et je me surprend à siffler, encore calme et confiant. Déjà, l'accueil incroyable des gens de la région se fait sentir. Des résidents de ce village ont installé une tente où ils offrent gratuitement aux coureurs des bananes et de la crème solaire! La météo s'annonce plus élevée que les moyennes de saison (plus de 20 degrés au lieu des 13 degrés habituel) et j'en profite pour mettre un peu de crème solaire. Un peu plus loin, des supporteurs se font un BBQ et nous offrent gratuitement de la bière et des beignes! :-)

Nous sommes le lundi du Patriot's Day (journée fériée au Massachussets) et c'est une tradition pour les Bostonnais qui ne courent pas le marathon d'aller encourager en fêtant...les célébrations commencent généralement dès le départ du marathon à 10h du matin!

10h du marin arrive et c'est l'hymne national, avec un moment de recueuil en mémoire des personnes décédées l'année précédente lors des attentats.

Enfin, le départ est donné.

Fidèle à mon plan de match, je pars relax sans trop me soucier de ma montre. Je cours complètement à droite, j'ai le sourire facile, tellement heureux de courir ce marathon et je donne des high five à tous les enfants qui tendent la main au départ du parcours. J'ai déjà un premier pincement au coeur en donnant un high five à un jeune garçon handicapé. Je me dis qu'il ne pourra probablement jamais courir de sa vie alors que je suis heureux d'avoir découvert la course à pied il y a 4 ans. Je poursuis ma tournée de high five et quelques kilomètres plus loin, j'entends très fort BOS-TON BOS-TON BOS-TON. On passe devant un pub un peu au milieu de nulle part où des dizaines de jeunes étudiants boivent de la bière en brandissant le poing et en criant à notre passage. Ils sont debout devant le pub, sur la terrasse et sur le toit. Je souris.

Je poursuis ma course et consulte ma montre de temps en temps pour voir ma vitesse. J'anticipais courir à 4m22 le km environ pour cette section et je suis à 4m20 confortable. Tant mieux.

Tout se passe bien pour les 20 premiers km, j'ai le sourire facile et ma vitesse est constante. Je commence par contre déjà à me lancer des verres d'eau dans le cou et sur la poitrine avec la température qui approche les 20 degrés. Je continue à donner des high five à des centaines d'enfants et ça me donne autant de plaisir qu'à eux.  Je fais également le plein de quartiers d'oranges que de nombreux supporteurs, surtout des enfants, nous tendent. Autour du 15ekm, je dépasse un groupe de personnes handicapées, incluant le fameux Team Hoyt qui court son dernier marathon de Boston avec son garçon. Je crie pour l'encourager. Je dépasse également une petite personne, John, qui était en voie d'être la première personne de petite taille à compléter le marathon de Boston l'an dernier lorsque les bombes ont explosé. Je suis triste pour lui de le voir déjà en train de marcher, avec le nom de son gars écrit sur son chandail. Je l'encourage à persévérer.

J'arrive finalement à l'endroit où j'avais frappé un mur il y a 2 ans: les filles du Wellesley College. J'en avais embrassé une et le reste de ma course était devenu un souvenir vague et pénible. Cette fois, je me sens en pleine forme et je décide de me contenter de leur envoyer des becs soufflés, décidant que je garderai mon baiser pour Julie qui m'attend quelques kilomètres plus loin. J'ai un gros sourire à les regarder, des centaines avec des pancartes les incitant à les embrasser. Je consulte ma montre et je réalise que je franchirai le cap du demi-marathon en tout juste plus de 1h30 (1h31 en fait), plus rapidement que mes meilleures prévisions.

Je cours pour avoir du fun et je décide que c'est le temps d'ouvrir la machine et de me faire encore plus plaisir! Je décide en même temps que le slogan de cette année étant Boston Strong, je ne vais pas me ménager et je vise de compléter le marathon en moins de 3h10. Je commence à dépasser beaucoup de coureurs et j'atteins régulièrement des vitesses plus près d'un demi-marathon que d'un marathon mais je me sens bien. Je dépasse ainsi des centaines et des centaines de coureurs jusqu'à ce que je trouve enfin Julie qui crie très fort à ma vue. Je cours vers elle, m'arrête l'embrasser et lui dit que ça va super bien et de m'attendre à la ligne d'arrivée entre 3h05 et 3h10.

J'avais déjà augmenté la vitesse mais là j'ai des ailes! Je dépasse cette fois des centaines de coureurs dans les côtes, étant dans mon élément naturel avec 90% des mes entraînements ayant eu lieu dans les côtes autour du Parc Maisonneuve (vive Pie IX!) et sur le Mont-Royal. J'ai énormément de plaisir à relever ce défi et j'aperçois en haut d'une côte une arche indiquant Hearthbreak Hill is over!, la côte finale la plus difficile de laquelle je n'avais aucun souvenir il y a 2 ans! Je suis rendu au 34ekm et je constate avec surprise que j'ai couru à la même vitesse toutes ces côtes que les premiers 20km du marathon qui étaient légèrement en descentes! J'ai une moyenne de 4m20 le km après 34km. Je n'en reviens pas.

Je suis fier et super heureux et je réalise que je pourrais même courir mon marathon le plus rapide si je réussis à conserver le même rythme (3h04m56s)! Boston Strong! Je réalise à quel point ce marathon est unique et un superbe défi. Je donne tout dans les 8 derniers km, encouragé par la foule de 1 million de personnes. J'ai lu après la course qu'un gars qui a participé aux Jeux Olympiques mentionnait qu'il y avait plus d'ambiance à Boston qu'aux Jeux Olympiques et que ça durait pendant 3 heures en plus! Je n'ai aucune difficulté à le croire. Je suis également heureux de croiser Julie, l'autre petite personne qui avait été arrêté l'an dernier près de la ligne d'arrivée du marathon, et qui semble en grande forme. Impressionnant et inspirant car ces personnes ont pratiquement le double de foulées à faire pour compléter la même distance que moi.

Je mentirais de dire que les 8 derniers kilomètres étaient faciles. J'ai serré les dents souvent dans les descentes car mes quadriceps chauffaient et je tentais de garder la même vitesse. Il faisait également plus de 20 degrés et je devais m'asperger d'eau partout, incluant sur la tête, à presque toutes les stations d'aide (à chaque 1,6km). J'ai commencé à voir un peu d'étoiles à 3km de la ligne d'arrivée et j'essayais de me concentrer sur ma technique. J'ai réalisé que je ne ferais pas mon meilleur temps mais que j'allais être tout juste au-dessus de 3h05.

Au dernier tournant sur Bolyston Street, j'ai tout donné dans le sprint final qui m'a semblé interminable et j'ai levé les bras de fierté dans les airs. Pas autant pour mon temps final (3h06m14s, seulement 78 secondes plus lentement que mon meilleur temps mais sur un parcours vraiment plus difficile) mais pour avoir eu autant de plaisir et d'avoir donné le meilleur de moi-même.

Plus tard, j'apprendrai que j'aurai finalement dépassé plus de 3 000 coureurs pour terminer le marathon en 3 426e place, dans le premier 10% des coureurs!

Les bénévoles nous remettent nos médailles en nous remerciant comme d'autres l'ont fait au cours du week-end pour être venu courir à Boston. C'est plutôt à nous de les remercier d'être là et c'est eux en plus qui étaient la cible des attentats l'an dernier. J'embrasse ma médaille qu'on me dépose autour du cou, je m'asperge d'eau sur la tête et j'ai un sourire stupide au visage jusqu'à ce que je retrouve mes quatre supporteurs.



 Après une douche, une courte sieste (et mon classique gâteau au fromage d'après-marathon!) et les retrouvailles avec les autres amis coureurs, nous allons au plus vieux stade de baseball en Amérique, le Fenway Park, pour un pré-party privé. Le trophée de la série mondiale est sur place pour une prise de photos, tout comme la mascotte de l'équipe. On transfère par la suite au House of Blues, une sorte de Metropolis, où les gagnants du jour reçoivent leur trophée. C'est incroyable d'assister à la remise du trophée du premier Américain à remporter ce marathon depuis plus de 30 ans, le vieux Meb âgé de 38 ans! Le DJ est en feu et la piste de danse s'enflamme ensuite, rien de tel pour faire circuler l'acide lactique. Même Julie et sa bédaine est de la fête jusqu'à la fin du party vers 23h30.



J'avais dit à Julie il y a plusieurs semaines/mois que ce serait mon dernier marathon de Boston avant plusieurs années, souhaitant y retourner pour l'encourager lorsqu'elle se qualifiera de son côté. Il y a plusieurs autres marathons à faire au monde. Par contre, il n'y a qu'un seul marathon de Boston et Julie adore m'accompagner pour ce week-end...on se garde donc la porte ouverte pour voir à chaque année si j'y retourne ou non!

J'encourage fortement tout ceux qui peuvent s'y qualifier de le faire et vous comprendrez tout de suite pourquoi de nombreux coureurs y retournent année après année. Ce n'est pas seulement pour la fierté d'avoir réussi le temps de qualification, c'est également pour le support incroyable des gens de Boston lors de ce week-end.

D'ici ma prochaine visite à Boston, mon plus gros défi de l'année est encore devant moi: courir celui d'Ottawa en moins de 3h dans 5 semaines. Courir celui de Boston en 3h06 me donne énormément de confiance (Ottawa est vraiment facile et rapide comme marathon en comparaison à celui de Boston et en plus il y aura un lapin pour 3h) mais en même temps, je suis hyper heureux de mon résultat à Boston cette année qui a probablement été mon meilleur marathon à vie compte tenu du parcours. À suivre donc pour ce qui sera mon dernier marathon avant de devenir père au début juillet...:-) Et pour ça, j'ai encore plus hâte que j'avais hâte au marathon de Boston!!!