mardi 17 avril 2012

Dans la tête d'un coureur à Boston

Boston is all in.



C'était cette année le slogan du plus vieux marathon couru à chaque année au monde, qui en était à sa 116e édition consécutive en 2012. Décrit comme le St-Graal des coureurs, la renommée du marathon de Boston tient en grande partie à son système de qualification. À quelques exceptions près avec des oeuvres de bienfaisance, tous les coureurs doivent d'abord se qualifier en courant un marathon dans un temps déterminé en fonction de leur groupe d'âge et de leur sexe. C'était mon rêve de jeune coureur de me qualifier pour ce marathon et de pouvoir y participer.

Que ce soit avec des affiches annonçant le marathon partout dans la ville, avec les publicités spécifiques des compagnies de sport pour le marathon de Boston, à l'expo-marathon grandiose avec les affiches géantes du coureur ayant remporté le marathon le plus rapide de l'histoire à Boston l'année précédente, lors du souper de pâtes officiel la veille de l'événement à l'hôtel de ville ou simplement en marchant dans les rues et en croisant les 27 000 coureurs du marathon portant le sac du marathon ou du linge de celui-ci, sans oublier la bière de Sam's Adams brassée spécialement pour ce marathon (la 26.2, nombre de milles d'un marathon...et excellente bière en passant!), partout où nous allions, Boston était effectivement all in.








Souper de pâtes la veille du marathon...c'est Julie qui terminera ma bière par contre!


Après une traditionnelle nuit précédent un tel événement au cours de laquelle on se réveille à toutes les quelques heures en étant certain qu'il est déjà 6h, je quitte mon hôtel vers 6h30 pour aller prendre l'autobus qui nous amènera au départ du marathon, à 42,2 km de Boston. Une fois sur place, ma vague de départ est annoncée et nous devons marcher environ 10 minutes pour se rendre à celui-ci. Il était alors près de 10h et le mercure indiquait déjà 24 degrés, avec 32 degrés prévus au cours de la journée. Sur les 27 000 coureurs, 4 000 s'étaient déjà désisté en raison de cette canicule inhabituelle (les températures moyennes à Boston sont de 8 degrés au départ et 13 degrés dans la journée!). En nous voyant marcher sous ce soleil de plomb vers la ligne de départ et avec le bruit d'un hélicoptère des médias au-dessus de nos têtes, j'avais l'impression que nous nous dirigions vers un camp de concentration.

Dans la file le matin pour prendre les autobus nous transportant au départ.


Je suis quand même confiant avec mes bas de compression qui diminuent les possibilités des crampes dans les mollets, mes suppléments de magnésium pris au cours des 3 dernières semaines et ma ceinture avec mes bouteilles d'eau que j'apporte avec moi malgré des ravitaillements en eau à tous les miles (1,6 km).

Le départ est donné, je franchis la ligne 6 minutes après le départ (nous sommes 9 000 coureurs dans ma vague!) et j'entends à peine la première chanson sur mon iPod (Where the streets have no name de U2) en raison des cris d'encouragement de la foule. La première pancarte d'un spectateur que je lis en courant m'indique que tout est possible avec Dieu à mes côtés...c'est bon à savoir!

La raison expliquant que le parcours du marathon de Boston est aussi difficile est fort simple: 5km de descentes en débutant suivi de 20km de faux plats montants et descendants, les fameuses côtes de Boston (surtout la Heartbreak Hill) entre les km 25 et 34 et 8km de descentes et de plat pour terminer.

J'y vais donc conservateur pour les premiers 25km avec un choix de musique plus lent et un rythme retenu. Tout va très bien, je cours à ma vitesse prévue sans vraiment pousser mais je constate tout de même qu'avec cette chaleur, mes pulsations cardiaques sont à 90% de mon maximum déjà, tournant autour de 170. Je décide rapidement après 3 miles que je dois réduire ma température corporelle si je veux terminer ce marathon. Je prends plus le temps de boire mon eau et Gatorade en courant lors des stations et surtout, je m'asperge d'un verre d'eau sur la tête, un dans le cou/dos et un sur la poitrine. La stratégie fonctionne et me permet de courir facilement les 20 premiers kilomètres dans mes temps espérés, en conservant de l'énergie. Malheureusement, mes pulsations cardiaques se maintiennent élevées mais je me sens bien et je demeure constant.

À l'approche du 20ekm, les foules se font de plus en plus nombreuses et le support que nous avons est incroyable. En tout, c'est 500 000 spectateurs qui nous encouragent en cette journée fériée aux États-Unis et j'ai l'impression qu'ils nous encouragent encore plus fort en raison de la canicule. Je tape dans les mains de nombreuses personnes et m'amuse à lire en courant les nombreuses pancartes. Comme plusieurs autres coureurs, je pointe les personnes avec des tuyaux d'arrosage pour qu'elles m'aspergent d'eau lorsque je passe devant elles et les kilomètres se passent dans cette ambiance de grande fête.

J'arrive alors à une légendes du marathon de Boston: les fameuses étudiantes du Wellesley College qui crient comme si nous étions les Beatles dans les années 60 et qui ont des pancartes nous demandant de les embrasser. J'avais parlé avec ma blonde Julie de ces fameuses étudiantes que plusieurs coureurs vont embrasseur sur la joue avant de poursuivre leur marathon. Même si Julie me disait d'aller les embrasser si ça pouvait m'aider dans ma course, je vous jure que ce n'était pas dans mon plan de match! Cependant, je les ai trouvé vraiment drôles avec leurs pancartes du genre Kiss me I won't tell your husband, Never been kissed ou Kiss me Je suis Française (de Paris) que je me suis dit: Je cours le marathon de Boston, ce sera peut-être ma seule fois à vie, autant le vivre totalement. J'ai donc ralenti très légèrement pour aller embrasser une blonde (quelle surprise!) mais je suis arrivé tellement rapidement que pendant qu'elle tournait sa joue pour que je l'embrasse, je me suis plutôt retrouvé à l'embrasser directement sur la bouche! Et d'entendre son amie dire très fort OH MY GODDDDDDD!!!!!

Est-ce qu'embrasser ces étudiantes porte plutôt malchance? Je ne sais pas mais tout ce que je sais c'est que juste après avoir franchi la barre du demi-marathon dans mes objectifs de temps prévu (1h36), c'est comme si j'avais frappé un immense mur à tous les niveaux: dans mes jambes, dans mon coeur et dans ma tête.

Les 5km suivants, alors qu'ils n'étaient pourtant pas des kilomètres difficiles au point de vue technique, furent les plus difficiles de ma vie. Je n'avais pas vraiment mal aux jambes mais on dirait qu'elles ne voulaient plus avancer, mon coeur ne voulait plus dépasser 160 pulsations cardiaques et ma tête, surtout ma tête, n'avait pas envie de courir et souffrir pendant un autre 21km sous cette chaleur. La chanson Sexy and I know it de LMFAO jouait sur mon iPod et je trouvais ça tellement ridicule alors que je ne me sentais pas sexy du tout avec ma camisole dézippée jusqu'au nombril, trempé d'eau et de sueur et avec de la difficulté à courir. J'ai décidé pour ma première fois à vie d'arrêter ma musique qui m'agressait car trop rapide pour le rythme que je pouvais maintenir.

J'ai vraiment eu envie d'abandonner. De m'arrêter là et de simuler une blessure pour qu'une ambulance m'amène à la ligne d'arrivée rejoindre ma blonde. J'ai regardé ma montre, l'heure, le nombre de kilomètres restants et surtout les côtes à venir et je me disais que je ne pourrais jamais courir encore 2h sous cette chaleur. J'ai continué de courir et je me suis parlé énormément. Je me suis rappelé que c'était mon rêve de courir ce marathon, que je m'étais en quelque sorte entraîné depuis que je cours il y a 2 ans pour réaliser ce rêve, que si je voulais un parcours rapide et facile ce n'était pas ici que je devrais être, que je voulais relever ce Défi. J'ai pensé à tous ceux d'entre vous qui m'aviez encouragé, à tous ceux à qui j'avais demandé de l'énergie vers midi quand j'arriverais aux fameuses côtes du marathon. Et quelques jours plus tôt, je m'étais dit que j'allais courir ce marathon entre autres pour une personne près de moi qui vient d'apprendre que son mari qui célèbre ses 50 ans cette semaine vient de se faire découvrir 2 tumeurs cancéreuses au cerveau.

Je venais de me convaincre que j'allais terminer ce marathon. Je savais que ce serait long, interminable, mais je venais de me convaincre de le terminer. À ce moment précis, alors que tout le monde me dépasse depuis quelques minutes déjà, je rattrape une personne du groupe des handicapés (ils sont partis avant nous) qui court avec une jambe artificielle recourbée. J''étais super ému et je me suis dit que si ce gars-là peut courir le marathon de Boston, j'allais le faire moi aussi. Je me suis également dit que j'allais appliquer ma seule devise que j'ai toujours eu lors d'un marathon: NE JAMAIS MARCHER.

Avec ce nouvel état d'esprit, j'ai poursuivi ma course, j'ai profité comme jamais de l'énergie de la foule, j'ai même tapé dans les mains d'un gars qui avait un chandail des Bruins de Boston (...), j'ai mangé ma demi barre de protéines que j'avais avec moi en cas d'urgence, j'ai commencé à manger des quartiers d'orange que les enfants donnaient, à manger des réglisses, bref à tout essayer en me disant que je n'avais rien à perdre et que je devais y aller miles par miles. J'ai pratiquement cessé de regarder ma montre (après avoir constaté que midi approchait) et j'ai seulement souhaité affronter ces fameuses côtes qui me terrorisaient quelques minutes plus tôt.

Petit à petit, alors que tout le monde me dépassait depuis les derniers kilomètres, j'approchais des fameuses côtes et je réalisais que je commençais à dépasser des personnes avec lesquelles j'avais couru précédemment. De plus en plus de coureurs commençaient à marcher, de nombreux autres avaient des crampes et devaient s'arrêter régulièrement alors que d'autres optaient pour alterner la marche avec la course. J'ai poursuivi mon chemin de croix et à ma surprise, lorsqu'un supporteur m'a crié Looking good!, je suis parti à rire tellement je trouvais que son commentaire devait être sarcastique. J'ai réalisé à cet instant que j'avais à nouveau du plaisir à courir ce marathon. Un peu plus tard, j'ai demandé à un supporteur où était cette fameuse côte surnommée Heartbreak Hill, la côte la plus redoutée du marathon. Celui-ci me répondit que je l'avais déjà franchi!!! Je n'en revenais pas...ça confirme ce qu'on m'avait dit; ce n'est pas les montées qui sont difficiles à Boston mais les descentes du début qui détruisent les jambes.

Les 7 kilomètres suivants se passent relativement bien, malgré un début de crampe qui me guette dans la jambe droite, avec une pente généralement descendante, et à l'approche du dernier kilomètre, je reconnais enfin le signe d'une station-service près de Fenway Park (je ne pensais jamais que voir une station-service lors d'un marathon me ferait cet effet!) et je reconnais une dernière côte qui nous fera sortir juste avant la rue principale de Boston, Bolyston Street. Plusieurs coureurs cessent de courir et commencent à marcher rendu à cette petite côte, aussi miniscule soit-elle (au total, 1 000 personnes abandonneront en cours de route, incluant l'homme qui a couru le marathon le plus rapide de l'histoire l'an dernier, victime de crampes au 30e km). Je la franchis, tourne le coin de la rue et appercoit Bolyston Street. Je lève les bras dans les airs en signe de victoire à venir et m'engage sur Bolyson Street pour les 600 derniers mètres. Moi qui adore sprinter pour terminer une course, je devrai me contenter de garder le rythme et de voir quelques coureurs me dépasser dans leur sprint. Après un long moment à mes yeux, je franchis enfin le fil d'arrivée alors qu'il fait maintenant 32 degrés, faisant le V de la victoire de mes deux bras. J'ai réussi. J'ai accompli mon rêve. Ce fut beaucoup plus difficile que prévu, je suis complètement brûlé mentalement mais je l'aurai fait.

Je peux enfin MARCHER et la première bouteille d'eau qu'on me tend se retrouve au complet versé sur moi avant de boire la suivante. Je continue ma marche vers la sortie du périmètre et me penche enfin pour qu'on me dépose la médaille autour du cou. J'ai les larmes aux yeux lors de ce moment et j'embrasse la médaille. Je traverse les ravitaillements pour retrouver Julie et à voir mon temps d'arrivée (3h35), mon visage et entendre ma voix faible, elle comprend tout. On a les larmes aux yeux et nous rentrons tranquillement à notre hôtel.



Merci à tous ceux qui m'ont encouragé, vous avez fait une plus grande différence que vous le pensez, et j'espère pouvoir compter sur vos encouragements et votre présence en personne pour le Ironman de Tremblant le 19 août prochain.

Philippe

Mon fameux gâteau au fromage du Cheesecake Factory dégusté à une halte dans les White Mountains sur le retour!!!